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"Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page", (Saint Augustin).

16 Feb

Là-bas, il y a un sureau.

Publié par All Spirit  - Catégories :  #Billets d'humeur.

Là-bas, il y a un sureau.

Quelques fois, flotte dans l'air un parfum à l'arôme du souvenirs. Des senteurs au format d'un cliché rectangulaire, cadré sur une image que vous n'avez voulu perdre. Ces instants vécus au tempo d'une seconde égrenée dont vous savez qu'elle se figera dans le défilement du temps pour toujours. Ces moments qui jalonneront la ligne du temps de votre vie, ancrés sur elle comme un piton sur la falaise pour vous empêcher de tomber lorsque le vent se met à souffler si fort sur le bonheur que vous ne savez plus qui vous êtes ni d'où vous venez.
Là-bas, au détour d'un sentier, en guise de bienvenue sur le petit pont en béton, il y avait un sureau.

Pile à cet endroit sur la flèche linéaire de mon existence, un trait en guise de repère. La fragrance est celle de l'herbe coupée, de la luzerne et des chevaux. L'effluve brûlante de l'été et l'odeur typique de la peau d'un enfant recouverte de poussière de terre tournoient dans un rayon de soleil torride.
Les journées se passent, les jeux défilent et les constructions de forts s'enchaînent sous les branches protectrices de l'arbre. L'univers d'ombres dans un univers lumineux, comme une vie fragile d'ombres chinoises.
L'ombre est précieuse et vraie. Elle ne surexpose pas les minutes photographiées par vos yeux innocents. Tout est conservé aux couleurs de l'authenticité et confèrent à ces souvenirs un sentiment de pouvoir de guérison pour l'avenir.
Là-bas, au-dessus de nos têtes, il y avait un sureau.

Il y avait aussi, bien distillées par la danse de ses feuilles, un agréable relent du fort tilleul, gardien de la forêt quelques mètres plus en amont ainsi que les senteurs de poudre à lessiver imprégnées sur les tee-shirts des copains, annonçant une nouvelle journée, tandis qu'un parfum de sucre s'évaporait du sachet de bonbons.
Sous sa parure verdoyante ornée de boules noires, discussions et fines stratégies se sont affrontées laissant sur la berge récits intemporels et rouleaux de pellicule, comme un clip musical sous l'égide d'une chanson presque composée pour votre histoire, celle qui restera l'hymne de votre vécu jusqu'à la fin de vos jours et dont vous connaîtrez jusqu'à la moindre note. Celle qui a plagié sa mélodie sur le rythme de votre coeur.
Là-bas, il y avait un sureau.

Aujourd'hui, lorsque je me tiens dans le bon axe, à un endroit bien précis de ce petit pont tant de fois emprunté et que le temps est clair sous une légère brise soulevant ses branches mystérieuses, j'ai le temps d'apercevoir ce film en hologramme...Celui de ma vie d'enfant saupoudrée d'odeurs diverses et colorées qui donnent aujourd'hui ce goût sucré à ma peau d'adulte.
Si les oiseaux fredonnent en secret, je peux encore entendre le bruit de mon vélo envoyé dans les orties par manque de temps pour un arrêt correct, lorsque sa carlingue métallique claquait contre celles des autres.

Là-bas, il y avait un jeune sureau devenu vieux aujourd'hui, témoin du roman de mon âge.
Il m'offre la magie d'une séance de cinéma. Mon cinéma. La magie d'un théâtre à riches souvenirs, dont la fermeture du rideau ne se fait que lorsque le vent laisse aux branches le loisir de retomber sur cet univers.
Les souvenirs n'ont pas de vocation nostalgique. Ils ne s'apparentent pas à la possible tristesse d'un présent amer. Non.
Ils sont racines et guides,  phares et directions. Ils sont votre identité et votre personnalité.
Ils sont la corde de rappel, vous permettant de remonter lorsque vous êtes descendus plus bas que vous ne l'auriez voulu.
Ils sont vous.
Dites aux enfants de vivre, de respirer, d'enregistrer, de photographier, de prendre des risques.
Dites-leur que désobéir n'est punissable que pour certaines choses, qu'il n' y a pas de plus grands explorateurs qu'eux et que pour être un héros, il faut avoir une histoire.
Dites-leur de ne pas être effrayés,tant que leurs souvenirs seront à leurs côtés. 
Dites-leur d'être aussi différents que possible, d'être aussi variés que les odeurs du monde.
Il n' y a que comme ça qu'ils sauront qui ils sont. Il n'y a que comme ça qu'ils se bâtiront un refuge en cas de tempête.

Là-bas,il y a un sureau. Mon coffre fort.
Là-bas,il y a un sureau que je montrerai à mon fils.
Là-bas,il y a un sureau abreuvé de plusieurs vies d'enfants.
Là-bas,il y a MON sureau.

 

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C
J'arrive à le voir TON surreau. J'arrive à sentir toutes ces odeurs. C'est magique.
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À propos

"Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page", (Saint Augustin).