Anaïs Nin, "Why i write".

Bonjour Anaïs,

Avant de rentrer dans d'autres considérations quelque peu plus introspectives, (tu constateras que mon allergie à la pseudo-science de Freud m'empêche de parler d'autre chose), je tiens à te souhaiter, avec trois petits jours de retard, un joyeux anniversaire.
Tu aurais eu cent quatre ans. Pourtant, l'image de ce visage qui est le tien reste suspendu aux élingues des décennies. Cheveux attachés et relevés pour dégager ce visage à la forme parfaite, laissant champs libre à deux grands yeux remplis de quête de la vie, hypnotiques de sens.

Lorsque le hasard se fait casino et que la bille s'arrête sur le 21 noir, je tombe régulièrement sur ce doux prénom qui est le tien, tandis qu'à d'autres instants, un cliché volé se dévoile au détour d'une page...Quoi de plus sensé ? Les pages ne sont-elles pas ta vie, à toi aussi ? Et la première chose que tout cela m'évoque n'est autre que ce regard...
Y vivent, de ce que tu as permis aux gens de savoir de toi, des questions. Probablement un autre point que nous partageons.
Ces interrogations sont pour moi bien plus importantes que ton oeuvre titanesque, aussi merveilleuse soit-elle.

"Pourquoi s'interroger", me demanderas-tu ? Simplement parce que créer est une sensation étrange, une fuite vers l'avant pour une raison inconnue dont je cherche parfois la genèse sans y trouver la préface, et tout aussi simplement que parce que toi aussi, tu l'as fait. 
Toutes ces délibérations sont habilement dissimulées derrière le voile fin de la femme assurée que tu t'es efforcée de paraître et d'une certaine façon, d'être.. De ce qu'il m'est donné de savoir des artistes, non pas que je me considère comme l'un d'eux, l'art est un phénomène d'évasion. Ecrire est-il un art ? Au degré de ma plume, non. A hauteur de ton encrier, sans aucun doute.
Je pense que l'on ne peut s'auto-proclamer écrivain ou artiste tant que quelqu'un ne vous pas a donné ce titre.
T'a t'il été donné l'occasion de lire la tirade d'Oscar Wilde sur l'art ? Elle fait figure d'introduction au Portrait de Dorian Gray. Magistral. Mais je m'égare.

Il a toujours émané de moi, plus qu'une anodine envie, un besoin de noircir du papier. Comme une pulsion non définie m'interdisant parfois de savoir quoi griffonner. Je dois écrire, c'est tout. Il me semble aujourd'hui la sentir grandir avec intensité. Et en toute honnêteté, je ne saurais te dire pourquoi.
Cependant, ces voyages au plus profond de toi donnent des pistes de réflexions, dont une qui me laisse une impression de réponse, mais aussi parce qu'elle te révèle, toi, le symbole d'une féminisation d'une époque puritaine aujourd'hui révolue.

Parce que les combats intérieurs et les batailles extérieures par les lettres sont les plus beaux terrains de guerre, j'ai envie de partager ton épilogue à la raison d'être de l'écriture.
Tu ne m'en tiendras pas rigueur, je crois. Tu as déjà prouvé que tu était une très grande Dame.
Bon, je dois filer. J'ai une valise à faire. 
Merci pour l'aparté de ce vendredi.

A bientôt.

"WHY I WRITE", by Anaïs Nin.

"Pourquoi écrit-on ? " est une question à laquelle je peux facilement répondre puisque je me la suis souvent posée moi-même. Je crois que l'on écrit parce que l'on doit se créer un monde dans lequel on puisse vivre. Je ne pouvais vivre dans aucun des mondes qu'on me proposait : Le monde de mes parents, le monde de la guerre, le monde de la politique.
J'ai dû créer un monde pour moi, un climat, un pays, une atmosphère où je puisse respirer, régner et me recréer lorsque j'étais détruite par la vie.
Voilà, je crois, la raison de toute oeuvre d'art. L'artiste est le seul qui sache que le monde est une création subjective, qu'il faut faire un choix, une sélection des éléments. C'est une matérialisation, une incarnation de son monde intérieur. Et puis, il espère y attirer d'autres êtres, il espère imposer cette vision particulière et la partager avec d'autres. Même si la seconde étape n'est pas atteinte, l'artiste, néanmoins, continue vaillamment.
Les rares moments de communion avec le monde en valent la peine, car c'est un monde pour les autres,un don aux autres, en définitive. Nous écrivons aussi pour aviver notre perception de la vie, nous écrivons pour charmer, enchanter et consoler les autres, nous écrivons pour chanter à ceux que nous aimons.
Nous écrivons pour goûter la vie deux fois : sur le moment et après coup.

Comments

[Catherine]

Cette conversation révèle encore des choses... sur toi.
Ton besoin d'écrire se fait impérieux ? Ecoutes-le ! Car s'il y a bien une chose que tu fais magnifiquement, c'est celle-là.
Allez va faire ta valise maintenant. Un nouveau lieu t'attend pour t'en mettre plein les yeux et revenir le coeur chargé de souvenirs.

Je t'aime !